Développement des territoires

La construction de lignes nouvelles renforce les inégalités territoriales, notamment entre le Grand Sud-Ouest et les pays du Sud dont on pille les ressources pour construire ces infrastructures de pays dits "développés". De plus, la grande vitesse est un rouleau compresseur socio-économique pour tous les territoires traversés, qui s'engagent sur 40 ans pour le financer par des contrats sans garantie.
Carte de Bretagne avec les impacts pressentis par les entreprises, de la LGV Paris-Rennes. On voit notamment Brest, Lorient et Quimper qui continuent à utiliser l'avion.

Un "accélérateur pour les entreprises"...

La conviction que l’offre de transport est un puissant moteur de développement local est répandue chez les responsables politiques. Or cette hypothèse, souvent avancée dans un but stratégique, pour défendre un projet, est sans fondement scientifique comme l’ont montré les experts.

Comme le dit avec un certain humour Yves Crozet, directeur du Laboratoire d'Economie des Transports à l'Université Lyon 2 : « Les élus ont besoin de faire rêver, d’offrir un nouvel horizon à leur population. Or ils n’ont souvent rien de consistant à proposer sauf des infrastructures de transports (autoroutes, TGV…) […] Quand le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, vient à Roanne promettre aux élus locaux que le TGV arrivera dans leur ville, il vend du rêve, mais à quoi cela sert-il ? »

Si les collectivités n’ont pas hésité à se lancer dans des grands projets d’aménagement, « l’effet TGV ne suffit pas à attirer les entreprises sur un territoire », souligne-t-il (Source : TGV miracle ou mirage ?, Usine Nouvelle, 29 juin 2017).

Dans un rapport réalisé par l’équipe de Marie Delaplace, professeure d’aménagement et d’urbanisme à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée, pour le Conseil régional de Champagne-Ardenne démontre que l’impact économique d’une LGV est illusoire : « En termes de développement économique global, les effets positifs sont loin d’être systématiques. Le TGV ne suffit pas pour attirer des entreprises. Lorsqu’il joue un rôle, celui-ci est secondaire. Son arrivée qui se traduit par des relocalisations d’entreprises locales au sein de l’agglomération peut favoriser le maintien de certaines de ces entreprises, mais n’empêche pas toujours les délocalisations ». (Source : Desserte TGV et localisation des entreprises dans les quartiers d’affaires : nouvelle accessibilité ou nouvelle offre de bureaux ? Le cas de la gare centre de Reims. Bazin, Beckerich et Delaplace, EA 2065 OMI, Université de Reims Champagne-Ardenne)

Une étude menée par Sylvie Bazin et col fait le même constat : « Les recherches entreprises sur les autoroutes, puis sur les lignes à grande vitesse, contestent en effet l’automaticité des transformations induites par les nouvelles infrastructures de transport (Bonnafous, 1981, 1983, 1987 et 1993 ; Offner, 1993 ; Plassard, 1977, 1987 et 1990). Depuis les années 1970, la croyance selon laquelle la réalisation d’infrastructures de transport apporterait richesse et prospérité a été progressivement abandonnée. Le discours cherchant à mettre en évidence une relation stable entre réseau de transport et développement a été remplacé par une réflexion accordant un caractère premier aux stratégies de valorisation des infrastructures. » (Source : La LGV : un outil d’ouverture des espaces et de renforcement de l’attractivité touristique ?, REM n° 205-206, 1-2/2004, page 62)

Carte de l'INSEE représentant les sept groupes de zones d'emploi selon leur orientation économique principale

...et un bénéfice pour tous les secteurs économiques ?

Yves Crozet, va plus loin dans cette analyse en citant quelques exemples :

  • plus que de la création d'activités nouvelles, on assiste à de la relocalisation d'activités existantes à proximité du TGV : c'est un jeu à somme quasi nulle ;
  • l'agglomération lilloise a gagné de nombreux emplois à l'arrivée du TGV en 1993, mais dans un contexte économique globalement plus favorable : tout en étant la ville d'Europe la mieux desservie en TGV comparée à sa population, elle perd des emplois de façon continue depuis 2008 ;
  • à Nancy et Metz, peu d'effet tangibles ont été constatés par l'arrivée du TGV et la Lorraine a perdu 5% de ses emplois depuis 10 ans, confirmant que la grande vitesse ne peut qu'accompagner une dynamique économique préexistante et non la susciter.

Dans une autre étude réalisée par le cabinet d’ingénierie SETEC pour la LGV POCL, on retrouve les mêmes constats : « [le développement économique se résume à] un rôle second et diffus sur les localisations d’entreprises : une LGV n’engendre en général que peu de créations ou de départs d’entreprises. » (Source : « Effets territoriaux de la grande vitesse ferroviaire », mars 2010 page 16.)

Les zones d'activités vides de Vendôme et d'Amiens en sont l'illustration.

Quant en matière de tourisme, l’impact est à nuancer : « En matière de tourisme, les effets du TGV doivent également être relativisés. Si le TGV permet de valoriser essentiellement les sites qui sont déjà connus, son éventuel impact est limité au tourisme urbain, vert ou sportif de court séjour. » (citation Marie Delaplace)

Carte démontrant que l'artificialisation des sols se poursuit davantage dans les zones démographiquement dynamiques

Des territoires plus attractifs ?

Pour obtenir le financement des projets de LGV par les collectivités territoriales, les décideurs n’hésitent pas à faire miroiter des retombées positives au regard des enjeux liés au désenclavement et à la compétitivité des territoires.

Un rapport de la Cour des comptes sur le sujet le confirme : « La contribution de la grande vitesse à l’égalité des territoires et au développement économique (…) doit être relativisée. (Source : « La grande vitesse ferroviaire, un modèle porté au-delà de sa pertinence. », Cour des comptes, 2014, p50)

Selon Yves Crozet : « Les économistes ont expliqué depuis longtemps que les infrastructures de transport ont surtout pour objet de « déménager le territoire ». Elles créent des effets de centralité, de massification, qui renforcent les pôles. Leur impact n’est pas celui de l’homogénéisation des territoires, mais de la polarisation. [...] Les infrastructures réorganisent la répartition des activités sur le territoire, elles ne sont pas à la source de ces activités.»

La commission d’enquête publique elle-même met en garde contre le risque de métropolisation qui ressort de toutes les études : « ...le service de la grande vitesse étant consubstantiel à la desserte exclusive des grandes agglomérations, le risque de métropolisation est patent. L’irrigation du territoire présentée comme un argument en faveur du projet risque de se transformer en drainage du territoire et en concentration de l’activité sur les métropoles. L’objectif affiché et assumé de la grande vitesse est de relier sans arrêts, des grandes métropoles. En conséquence, le développement économique se concentrera autour des gares des deux métropoles et drainera l’emploi au détriment du développement local. » (Source : Conclusions et avis de la commission d’enquête GPSO/LN, 2015, p.31).

Les experts, tel le cabinet SETEC, dénoncent eux-aussi les effets néfastes des LGV : « La grande vitesse ferroviaire peut contribuer à accentuer les dynamiques et les disparités territoriales : elle accompagne et renforce le métropolisation […] et peut par contrecoup participer à un décrochage relatif des territoires les plus éloignés des grands centres urbains (par “effet-tunnel” par exemple). » (Source : Evaluation des premiers effets de la première LGV Méditerranée, SETEC Organisation, 11.06.24. Page 12.)

Enfin, à la lecture d'une revue de littérature comparée, on note : « Certaines études considèrent que le renforcement de la métropolisation peut aussi entrainer un accroissement de la concurrence au détriment des territoires plus périphériques. C’est ce que met en évidence une étude en France relative à l’impact du TGV Est sur les agglomérations de Metz, Nancy, Epinal et Thionville. Le risque évoqué est celui d’une distinction croissante entre villes desservies et non desservies et donc de fracture entre territoires. Par ailleurs certaines villes moyennes peuvent se trouver pénalisées par une faible desserte qui détériore son accessibilité antérieure avec l’accès à la LGV, il y a un risque : ce produit de luxe fait le vide autour de lui. Pour ces villes, une bonne desserte classique peut être plus intéressante qu’une mauvaise desserte TGV.» (Source : Lignes ferroviaires à grande vitesse et dynamiques locales : une analyse comparée de la littérature, Bazin, Beckerich, Delaplace, Blanquart et Vandenbossche, 2011, Page 4.)